Père Kafarhire: la guerre en RDC répond à une idéologie expansionniste

Nelson Santillan

Il y a maintenant plus de trente ans que dure le conflit à l’Est de la République Démocratique du Congo, avec plusieurs millions des morts. Selon le père jésuite Toussaint Kafarhire, cette situation a été engendrée par une idéologie révisionniste des frontières héritées de la colonisation, par le régime politique en place au Rwanda qui, pour masquer sa présence, se coopte quelques congolais qui, pour des intérêts égoïstes, acceptent d’être des meneurs de jeu.

Fabrice Bagendekere, SJ – Cité du Vatican

La guerre à l’Est de la République Démocratique du Congo semble prendre des dimensions inattendues, tandis que le groupe armé M23 ne cesse de progresser, agrandissant chaque jour davantage la zone de contrôle, face une armée congolaise dont l’attitude reste énigmatique aux yeux de plusieurs observateurs. Selon plusieurs opinions, une carte de la balkanisation du Kivu semble se dessiner, une tentative qui, par ailleurs date de très longtemps. Ce dessein se dégage aussi de l’attitude de l’occupant qui, de toute apparence, cherche à prouver de sa capacité à administrer à la population sur le territoire conquis: réouverture des centres commerciaux, banques et services étatiques, régulation de la circulation, travaux généraux, etc.  Se pose cependant la question de savoir quelle idéologie soutiendrait cette lutte? Selon le père jésuite Toussaint Kafarhire, spécialiste en relations internationales et président de l’African Studies Association of Africa, la situation à l’Est de la RDC répond à une idéologie expansionniste et révisionniste des frontières qui est celle, non du M23 mais de leur commanditaire, le régime en place au Rwanda voisin. Ainsi, pour lui, on ne peut trouver de solution définitive à cette situation, sans prendre en compte plusieurs paramètres qui nous sont détaillés dans la suite.

Trente ans de guerre

La guerre à l’Est de la République Démocratique du Congo, quoi qu’elle paresse nouvelle pour «les profanes», ne date pas d’aujourd’hui. Elle dure maintenant 30 ans, la première agression externe datant de 1996. Trente ans pendant lesquelles, silencieusement, plusieurs millions des personnes sont mortes, selon les chiffres officiels. Selon le Père Kafarhire, le M23, chaque fois soutenu financièrement et militairement par le Rwanda, a traversé toutes ces 30 années, se muant de dénomination. Datant de 1996, à l’entrée de l’AFDL (l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération), ensuite 1998, quand le RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie) surgit dans le Sud-Kivu, prenant le contrôle du grand Kivu, puis 2004, quand Laurent Nkunda et ses CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) s’emparent de Masisi et de Rutshuru jusqu’en 2009. C’est suite à cette occupation et la difficulté de résoudre le problème militairement que seront signés des accords le 23 mars 2009, date de laquelle découle le nom M23, Mouvement du 23 mars. En avril 2012, des anciens membres du CNDP, intégrés à l’armée régulière, se rebellent contre le gouvernement congolais, accusant Kinshasa de ne pas respecter l’accord du 23 mars 2009. Les mutins, en majorité Tutsi, forment un groupe de rebelles, appelé Mouvement du 23 Mars (M23). Défait en 2012 par l’armée congolaise, aidée par les troupes de la MONUSCO (Mission d’obsrvation des Nations unies au Congo), ceux-ci se refugièrent au Rwanda et en Ouganda, d’où ils ressurgissent en 2021.

Un plan d’envahissement du Congo

Toute considération faite, le jésuite estime que les dimensions que prend cette guerre, à l’état actuel, «étaient tout à fait prévisibles». Plus encore, dit-il, elle «fait partie d’un plan d’envahissement du Congo» et de «revisitation des frontières héritées de la colonisation», «présenté à la communauté internationale par les présidents de l’Ouganda, Yoweri Museveni, et le président du Rwanda, Paul Kagame», avant même que ce conflit ne naisse. Cela s’illustre dans certains «discours justificatifs du président Paul Kagame, faisant remonter le problème de l’Est du Congo au temps colonial et à la division des frontières et des groupes ethniques», indique le Père Kafarhire. Ainsi, affirme-t-il, «pendant toutes ces négociations, (…) la stratégie de Kigali a toujours été la même: «envahir le Congo militairement pour le forcer à négocier et en profiter pour infiltrer les institutions de l’État, du gouvernement (…) jusqu’à l’armée, forçant l’armée nationale congolaise à accepter des éléments étrangers, contrôlant donc l’information de l’intérieur et torpillant les initiatives de souveraineté du pays»».

Un nouveau plan: l’infiltration de la population

Un nouvel élément semble avoir été introduit dans la stratégie du Rwanda, dit le Père Kafarhire, ce qu’il appelle l’«infiltration de la population», une stratégie, peut-être, pour préparer dans l’avenir une réclamation d’indépendance de ceux qui auront été reconnus comme des congolais. En effet, explique le prêtre jésuite, à la suite des affrontements qui ont eu lieu à Goma et au Nord-kivu en général, un certain nombre des congolais ont trouvé refuge au Rwanda. Des congolais qui, donc, devaient renter au Congo une fois le calme revenu. Selon lui, tout a été préparé pour que l’on profitât de cette situation pour déverser des étrangers sur le sol congolais. C’est ce qui illustre, dit-il, que le nombre des réfugiés ait été gonflé par le gouvernement rwandais, parlant des centaines des milliers de personnes, tandis que le nombre des Congolais s’étant refugiés au Rwanda ne pourrait en aucun cas atteindre ce chiffre. Le politologue congolais prend à témoin les Nations Unies qui, selon lui, savent avec exactitude combien des Congolais sont entrés au Rwanda. Par ailleurs, tout semble expliquer le fait que les rebelles aient attaqué la ville de Goma par ses deux entrées nord-ouest et sud-ouest, forçant la population à prendre refuge au Rwanda, unique sortie possible.

L’AFC/M23, une face congolaise de l’agression rwandaise

Pour masquer sa présence, qui par ailleurs n’a pas pu cette fois-ci rester cachée, le Rwanda a toujours réussi à coopter certains congolais pour «donner une face congolaise à une agression» et  faire passer inaperçue son «intervention sur un espace étranger». Est-ce le cas de l’actuel meneur de la lutte, Corneille Nangaa, ancien président de la CENI, la Commission Electorale Nationale Indépendante, l’organe chargé d’organiser les élections en RDC? Celui-ci fustige les méfaits du pouvoir en place, notamment la corruption, le tribalisme et tous les autres abus de pouvoir dont se prévaut la coalition présidentielle. Quoi qu’il en soit, pour le père KafarHire, rien de tout cela ne pourrait justifier le fait de prendre les armes contre le pays, la Constitution ayant prévu d’autres voies de recours en cas de désorientation nationale.

Par ailleurs, le prêtre jésuite, estime qu’il y a d’ores et déjà «un fondement moral de la parole même» que l’on doit remettre en question chez Corneille Nanga, rappelant qu’en tant que président de la CENI, il avait «saboté la souveraineté et la volonté de toute une nation, pour des calculs de moments politiques», en proclamant l’élection de Felix Tshisekedi en 2018, contre «la souveraineté populaire qui élisait M. Martin Fayulu» – référence faite ici aux discours de Nangaa lui-même. Tout compte fait, dit le père Kafarhire, tout porte à conclure que l’alliance AFC/M23 n’a pas de véritable discours propre, sinon un discours emprunté.

Failles du gouvernement congolais

Il faut cependant reconnaitre, sans nécessairement le lier à cette guerre, «qu’on remarque beaucoup de failles dans gouvernement actuel», affirme le père jésuite, expliquant que «les préoccupations (…) des hommes politiques à Kinshasa et surtout du parti au pouvoir» étaient à un moment totalement à l’envers des priorités et des questions sociales du pays, tandis que les revendications pour une meilleure gestion de la chose publique, ne cessaient de monter, sans être prises en compte. «Ce n’est donc pas impossible – dit le père Kafarire – que les gens à l’Est, donc à Bukavu, aient abandonné la guerre pour prouver leur mécontentement», se référant ici aux différentes vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux, rendant compte du désintérêt et de la détresse des soldats congolais.

Quoi qu’il en soit, déclare le politologue congolais, rien ne peut «donner de fondement à une certaine légitimité à l’agression que [le Congo] est en train de connaître aujourd’hui». D’où, selon lui, l’importance pour les observateurs d’établir une différence entre les attitudes de mécontentements et critiques, soit-il de la population que de l’armée et l’appui à la rébellion. «Ceux qui critiquent le gouvernement, ne sous-entendent pas cautionner les actions des M23 et l’agression du Rwanda», dit-il.

Soumission des populations ou réalisme de survie?

La nouvelle phase de ce conflit a connu un taux très aigu de cruauté. Les combats qui ont précédé la prise de la ville de Goma, particulièrement, avaient abouti à un véritable carnage: en trois jours seulement, plus de 3000 personnes ont péri, selon les estimations de l’ONU. Certains pensent qu’il faut estimer à 6 000 ou 7 000 mots, considérant le fait que certains corps étaient déjà enterrés, soit-il dans les nombreuses fausses communes découvertes plus tard, que par les initiatives des proches qui ne pouvaient pas laisser les leur pourrir devant leurs yeux. Selon le prêtre jésuite, cela justifie le fait que les forces de sécurité aient capitulé sur d’autres positions, notamment à l’approche des rebelles de la ville de Bukavu, «pour éviter que le même bain de sang ne se reproduise». Il cite pour ce la lettre écrite par l’archevêque de Bukavau, Mgr François-Xavier Maroy, quelques jours avant l’arrivée des rebelles, demandant «au gouverneur et aux instances échéantes qu’on épargne à la population de Bukavau un tel massacre ou un tel carnage». Ainsi qualifie-t-il la soumission de la population conquise de «réalisme de survie».

Reconstruire la souveraineté nationale au Congo

Pendant toutes ces années de guerre, les ennemis de la République Démocratique ont toujours profité du manque de souveraineté et d’unité nationale, dans un climat politique dominé par le «partisanisme, le particularisme et l’ethnicisme», dit le père Kafarhire. D’où, pour lui, pour avoir une solution durable aux conflits armées en RDC, il faut «reconstruire la souveraineté nationale». Cela est plus qu’urgent en ce temps où les cartes semblent être déjà jouées, dit le prêtre jésuite. Ainsi appelle-t-il ses compatriotes à mettre de côté leurs querelles politiques et s’unir contre le risque plus que réel de balkanisation de leur patrie.

Le jésuite évoque ici le discours du Pape François à un groupe d’étudiants congolais qu’il avait reçu lors de sa visite dans le pays en février 2022 – François qui avait dit à ces jeunes qu’«il y a trois amours absolus, qui ne sont pas négociables: … l’amour de Dieu … l’amour de sa mère… et l’amour de sa patrie» – rappelant à ses compatriotes que «le moment est à l’unité nationale». «Partisan politics stops at the water’s edge», insiste le docteur en Relatons Internationales de Loyola University Chicago aux Etats-unis.

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